La SUPERVISION
La SUPERVISION
Récemment dans l’un des forums d’orthophonistes a été évoqué la Supervision. De part les réponses apportées, il apparaît que certains d’entre nous aient très bien compris le sens de ce travail de supervision, d’autre part en lisant les questions (un peu hors sujet) on découvre à quel point cette notion n’est partagée que par une partie de notre profession. Ce qui n’est pas surprenant, en effet, quand on parcourt les forums et qu’on y lit certaines discussions où aucune écoute du patient ne transparait, on a alors du mal à imaginer que le soignant prenne le temps de se poser et de réfléchir à la relation transférentielle qu’il établit ou pas avec ses patients.
Il me semble donc important de reprendre ce que peut être une supervision. L’orthophoniste est un spécialiste du langage et de la communication et donc évidemment un facilitateur d’accès à la pensée. En ayant cette vision de notre profession, il nous est difficile d’accepter qu’un trouble du langage ne soit qu’un trouble instrumental. Comme je l’ai déjà précisé par ailleurs, pour moi le trouble du langage est un symptôme qu’il convient avant tout d’entendre et de respecter pour éviter l’éradication du symptôme qui risque de se transformer puisqu’on n’aura pas fait l’effort de l’entendre, de lui donner sens… afin que le patient n’ait plus besoin de ce trouble pour « suer » sa souffrance.
Nos patients expriment donc leurs souffrances par leurs troubles, par la gêne que ceux-ci leur imposent… mais ils souffrent souvent d’une difficulté d’accès à la pensée qui se traduit par ces symptômes qui viennent faire resurgir des conflits internes (injonctions paradoxales de la famille, non-dit, secret de famille…). En lisant ceci, on pourrait en conclure que l’orthophoniste ne sert à rien et qu’il vaut mieux envoyer chez un psychanalyste. En quelque sorte, je serais assez d’accord mais tout le monde n’a pas la possibilité d’entrer dans une cure et les enfants n’ont pas toujours besoin de ce long travail. Et l’orthophoniste quand il a l’ouverture d’esprit et la formation adéquate peut très bien aider et accompagner son jeune patient à donner du sens à ses troubles et pouvoir s’en débarrasser sans qu’il y ait transfert de symptômes. Mais pour cela, il est nécessaire que l’orthophoniste ait pris le temps de respecter les troubles et ait permis à son patient de leur donner du sens.
L’orthophonie implique donc une écoute pour qu’une parole se libère. L’essentiel du travail de l’orthophoniste est là. Bien sur en fonction de ses patients, il est amené à proposer des médiations (dessins, jeux symboliques, construction, ateliers d’écriture…) afin de permettre à l’enfant de se détacher de son trouble, parfois de le contourner. C’est donc évident que l’orthophoniste se trouve pris dans une relation thérapeutique voire psychothérapeutique avec tout ce que cela implique et suppose.
Une relation transférentielle se met donc en place entre le patient et l’orthophoniste. Par transfert, j’entends ici le processus inconscient qui conduit le patient à reporter ("projeter") ses conflits psychiques les plus profonds sur la personne du soignant qui "s'y offre" dans le cadre du projet de soins.
Notre petit patient vient donc s’appuyer sur nous avec une intensité tout à fait comparable à celle qu'il a vécu dans ses premiers échanges avec ses figures maternantes. Or cette intensité peut être positive ou négative, c'est à dire porteuse de demande d'amour et de portage, comme de haine et de désir de mort, puisque les troubles sévères de la personnalité que nous rencontrons dans notre pratique affectent justement l'essence même du sujet jusque dans son intimité fondamentale. Le soignant, que ce soit dans les moments de parole et d'écoute du quotidien ou dans des entretiens plus formalisés, va se retrouver "accroché" psychiquement par le patient. L’enfant qui est en face de nous a appris à connaître nos particularités, nos mouvements d'amour ou de haine, ses demandes de portage psychique seront adaptées à nos particularités psychologiques.
Même s'il se sait "pris pour un autre" dans le cadre du transfert, le soignant se retrouve donc très concerné, et, à son insu, touché, ému, et ceci bien au delà de la relation soignante. Il peut y réagir fortement, sans s'en rendre totalement compte, par des projections positives ou négatives, qui prendront la forme d'élans d'aide enthousiaste vers l’enfant, ou, au contraire, de refus, de dégoût ou d'agressivité; c'est ce qui appelé "contre-transfert".
Cette émotion profonde que le soignant sent surgir en lui dans ces situations de soins ne se met pas en mots très facilement, car elle résulte d'une confrontation entre l’enfant-patient et notre propre personne de soignant, et non pas entre le malade et une fonction soignante. Et la personne de l’orthophoniste, elle, se protège de ces liens en les "oubliant" ou en les tenants à distance. Le soignant, certes, a une formation pour nommer la maladie et le soin. Il n'a pas d'angoisse personnelle à nommer un TED, un autisme, une dysharmonie psychotique, un trouble majeur de la communication, une instabilité, une « dys » … Mais quand la personne du soignant est assaillie par des rêves concernant un patient, lorsque la personne du soignant est prise, hors du cadre des soins, dans sa vie privée, par exemple par des fantasmes de mort concernant tel patient, ou par le souci lancinant de tel autre, le discours de la formation est impuissant à apporter une distance.
C'est ici même que la supervision peut intervenir, en proposant au soignant qui le souhaite un espace où mettre des mots sur les effets dans sa personne de sa mise en relation avec le patient.
A titre de comparaison (qui vaut ce qu’elle vaut) quand un de vos amis vient vous raconter ses problèmes, que vous l’écoutez sans pouvoir lui apporter aucune solution. Vous ne faites que l’écouter, vous ne lui prêtez qu’un peu de vos capacités de pensée, un peu de votre capacité à contenir les émotions. Nous ne faisons rien et souvent nous ne disons rien et notre ami repart avec du baume au cœur.
Pour nos patients, c’est un phénomène semblable qui se produit mais pas dans les mêmes nuances, en plus intense ou plus grave… De notre place d’orthophoniste nous offrons une écoute particulière et permettons un accès à une Parole, nous permettons une mise en mots. Parfois nous aidons concrètement le patient mais le plus souvent nous ne faisons que le précéder dans cet accès. Souvent nous ne comprenons pas immédiatement ce qui a été libéré parfois, nous ne le constatons même pas, ce sont les parents qui viennent nous dire que cela va mieux, que l’enfant progresse alors qu’avec nous quasiment Rien n’a changé. En effet, Rien n’a changé, mais tout à changé puisque notre petit patient s’est senti reconnu, s’est senti étayé, contenu pour oser s’exprimer, pour oser entrer dans la Parole ou encore dans l’Ecrit. Nous ne lui avons pas donné de solutions, nous lui avons simplement permis de découvrir celles qu’il possédait en lui et qui ne demandaient qu’à s’épanouir. Notre patient s’est senti libre, il n’était pas écrasé par notre toute puissance, ce qui arrive malheureusement dans les cadres trop rééducatifs.
Au cours de nos séances partagées, l’enfant a pu devenir Sujet et donc se réapproprier ses propres mots, sa propre histoire. L’enfant appuyé contre l’orthophoniste qu'il imagine solide, va pouvoir alors revivre avec lui des problématiques parfois extrêmement archaïques, c'est à dire liées aux perturbations des fondations de sa personnalité et donc de son langage Quel que soit l’orthophoniste (s’il est assez ouvert) va permettre au patient de revivre avec lui, "contre" lui, comme l'on dit d'un enfant qu'il vient se consoler "contre" sa mère, des situations pathogènes qu'il n'avait pu élaborer jusqu'ici et dont la mise en mots venait buter sur la violence intérieure. Car c'est le propre de la violence, violence du conflit ou violence du vide, d'empêcher la parole, la mise en mots.
LA SUPERVISION (concrètement)
Elle se compose d’une ou de plusieurs personnes (selon qu'il s'agit de supervisions individuelles ou en groupe) qui sont soignantes et qui rencontrent dans un cadre précis (le lieu, le temps, le coût) un superviseur. Le superviseur est un professionnel connaissant bien la relation soignante, le plus souvent il est psychanalyste ou au moins psychothérapeute analytique. C’est une sorte « sage » qui s'engage à pouvoir accueillir et contenir les émotions ou les mots chargés d'affects que les soignants viennent déposer à propos de leur travail dans le lieu de la supervision dont il est le garant. Concrètement, un ou plusieurs soignants viennent rencontrer le superviseur une fois par mois, par exemple, durant une heure ou une heure et demie (ce sont là des moyennes qui varient selon le superviseur et le type de supervision). Les soignants peuvent se rendre chez le superviseur (c'est souvent le cas pour les supervisions individuelles), mais le superviseur peut aussi venir rencontrer les soignants sur leur lieu de travail (il faut alors trouver un lieu calme et isolé des patients et des contingences quotidiennes). Le superviseur parle peu: c'est très important, puisqu'il propose aux soignants de parler eux-mêmes de leur relation avec tel ou tel patient. Il garantit le secret, et s'engage donc à ne rendre compte à personne du contenu des supervisions; il est donc préférable qu'il n'ait aucun lien de subordination directe avec l'employeur de ceux qu'il supervise. De par sa nature même, la supervision ne peut être qu'optionnelle.
Le soignant , en parlant à cette personne "neutre" par rapport au service et au patient, va pouvoir mettre des mots, même imparfaits ou provisoires, sur ce qu'il ressent dans la relation avec ce patient.
Le superviseur n'a pas à interpréter les propos du soignant. Cela ne servirait à rien. Il est là pour permettre la mise en mots. Tout au plus, peut-il proposer quelques lectures, ou suggérer de travailler tel ou tel point concernant tel ou tel patient. Le travail d'élaboration psychique par la parole est fait par le soignant. C'est ce travail d'élaboration qui permettra par la suite au soignant de contenir les émotions du patient sans risquer à tout moment d'y être débordé et noyé. La supervision sert directement le patient, par l'intermédiaire du soignant.
La supervision n'est pas une formation puisqu’il n’y a pas acquisition de savoir, même pas sur soi. Il ne servirait à rien que le superviseur explique la pathologie du patient au soignant, et ceci pour deux raisons: d'abord parce que le superviseur ne connaît pas le patient, (ce qui lui permet d'écouter totalement le soignant), et ensuite parce que le soignant connaît déjà la pathologie de son patient, puisque c'est justement son métier.
La supervision se situe dans le cadre du travail de soin. Et puisque l'on dit parfois que l'un des outils de travail du soignant, c'est la mise à disposition volontaire d'une "partie" de sa personnalité auprès du patient, osons alors cette comparaison: de même que l'entretien des outils, dans une entreprise ordinaire, ou des instruments, dans un hôpital ordinaire, est naturellement à la charge de l'employeur, de même la supervision, "entretien de l'outil de travail" du soignant, devrait être intégrée, à titre d'options dans le budget de fonctionnement de la structure.
Sur ce point, il faut savoir qu'un certain nombre de soignants en psychiatrie financent volontairement leurs supervisions sur leur temps personnel et à leur frais... (Ce que j’ai fait à 50 euros la séance).
Il faut préciser que la supervision se distingue de la régulation, ou une équipe travaille et approfondit avec un intervenant extérieur son projet technique, ou son fonctionnement interne. Elle se distingue aussi du contrôle, qui concerne les soignants pratiquant des psychothérapies auprès des patients.
Enfin, il faut souligner que la supervision, même individuelle, ne peut pas remplacer une démarche personnelle pour le soignant qui ferait ainsi à bon compte une psychothérapie clandestine payée par l'établissement: le superviseur centre son travail sur la relation de soins psychiques entre le soignant et le patient; si le soignant associe avec les raisons inconscientes qui l'ont conduit à ce métier, par exemple, le superviseur l'arrête, et le renvoie éventuellement vers une démarche personnelle, en lui rappelant que la supervision est avant tout au service des patients, même si elle prend la forme d'un service auprès des soignants.