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31 mai 2011

«La maladie mentale concerne tout le monde»

 

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SIGNER LA PETITION ICI

 

 

30/05/2011 à 00h00
Psychiatrie. Repères
Repères

La loi sur les soins psychiatriques, qui instaure entre autres les soins ambulatoires sous contrainte, sera adoptée demain par les députés, puis en commission mixte paritaire. Elle doit obligatoirement entrer en vigueur le 1er août, comme l’a exigé le Conseil constitutionnel.

«Au regard des droits de l’homme, la situation est inquiétante et elle s’aggrave.»

Jean-Marie Delarue contrôleur général des lieux de privation de libertés, dans son rapport sur la psychiatrie, en mars

70 000 

C’est le nombre de patients, hospitalisés contre leur gré chaque année en France : 10 000 en hospitalisation d’office, à la demande du préfet ou du maire, et 60 000 à la demande d’un tiers.



L’Appel des 39 contre la nuit sécuritaire s’est créé après le discours de Sarkozy où il annonçait un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques. En janvier, une pétition contre «la déraison d’Etat» a recueilli 30 000 signatures.

 

«Avec les soins sans consentement, on va donner des molécules de force. C’est intolérable, […] on enlève toute liberté à la personne.»

Claude Finkelstein présidente de la Fnapsy, qui regroupe les associations de malades

30/05/2011 à 00h00
«La maladie mentale concerne tout le monde»

Fondateur du Collectif contre la nuit sécuritaire, le docteur Hervé Bokobza s’oppose au projet, alors que sa consœur Marion Leboyer s’en désintéresse :

Par ERIC FAVEREAU

Ils n’ont jamais dû se parler, ni même se rencontrer. Alors que le monde de la psychiatrie traverse une phase de désabusement inédit, tous les deux détonnent dans la déprime ambiante. Ils se battent. Mais ils sont comme les deux faces opposées de la psychiatrie d’aujourd’hui. Hervé Bokobza (60 ans) vit à Montpellier, où il dirige un établissement pour jeunes psychotiques. Depuis trois ans, il est la personnalité repère dans la contestation du projet de loi sécuritaire sur la psychiatrie. Marion Leboyer (50 ans) est professeure de psychiatrie. Elle dirige un des plus grands pôles en France, regroupant trois secteurs autour de Créteil dans la banlieue est de Paris. Elle est aussi la directrice d’une fondation, Fondamental, - très contestée -, qui se veut le fer de lance des recherches en santé mentale à l’américaine.

Le texte de loi ? «Je ne l’ai pas lu, lâche Marion Leboyer. Je n’ai pas eu le temps. Déjà, je travaille vingt heures sur vingt-quatre, et là je suis très en colère.» Là, elle est dans son bureau. Multipliant les projets, elle sort d’une réunion où on lui a annoncé la fermeture de 15 lits dans son service à la rentrée, faute de personnel. «On traverse une époque épouvantable. Nous sommes le service le moins doté de l’hôpital, et pourtant le plus important. La psychiatrie reste toujours une discipline peu noble. Je suis sidérée, rien ne bouge. Quand je vois la directrice de l’AP-HP [Assistance publique-hôpitaux de Paris, ndlr], elle m’écoute, elle me dit : "Oui, c’est invraisemblable".» Alors, la loi…

«Humanité». «C’est un projet abominable et inapplicable», tempête, de son côté, le Dr Hervé Bokobza. Combattant de la psychiatrie, il était à l’origine des Etats généraux de la psychiatrie, il y a dix ans. Quand il a entendu Nicolas Sarkozy en décembre 2009 parler des fous comme de malades dangereux, il est reparti en guerre. Et a lancé, avec quelques autres, le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. «La folie, cela n’a jamais fini de nous poser des questions sur notre humanité. C’est une maladie de la relation à l’autre. Si on ne part pas de cette idée, toutes les dérives sont possibles. Traiter le schizophrène de fou dangereux est une honte.»

Pour Hervé Bokobza, c’est le combat d’une vie. Aujourd’hui, il est un rien abattu : la loi, critiquée par la très grande majorité de la communauté psychiatrique, est passée presque comme une lettre à la poste. Certes, le collectif a réussi à s’imposer comme interlocuteur public, mais la mobilisation n’a pas eu lieu. «Depuis vingt ans, les psychiatres se font grignoter, ils avalent couleuvres sur couleuvres. Il y a une espèce d’apathie et un sentiment de renoncement, analyse le Dr Bokobza. En même temps, n’accablons pas les seuls psychiatres, car c’est toute la société qui se tait. Et lorsqu’elle parle, comme lors des manifestations pour les retraites, la forte mobilisation ne réussit pas à faire reculer le gouvernement.»

Quand on interroge Marion Leboyer sur cette faible mobilisation, elle détourne la question, laissant comprendre qu’elle a autre chose à faire. Elle s’inscrit dans une autre logique.«Quand je suis arrivée, ici, il y a dix ans, la durée de séjour, c’était quarante ans. C’était un service à l’abandon. Là, je viens d’ouvrir la première unité en France pour les premières hospitalisations. Je n’ai qu’un souci : que cela bouge.» Elle insiste : «Les malades mentaux sont des malades comme les autres. La psychiatrie n’est pas assez spécialisée. Il faut aller vers des unités spécialisées, pour les bipolaires, les addictions.» Une analyse à faire frémir le Collectif contre la nuit sécuritaire. Les mots d’évaluation, de cohorte (groupe de sujets choisis pour l’étude d’une pathologie), mais aussi les classifications de maladies mentales, venues des Etats-Unis, sont le symbole d’une psychiatrie sans âme, «où le patient, réduit à son symptôme, n’est qu’une maladie», selon Bokobza. «Comme si la question du sens n’avait plus d’importance.» Marion Leboyer rétorque : «Nos malades ont un terrain génétique et biologique, avec des facteurs environnementaux. C’est tout cela sur lequel il faut travailler. On ne va pas offrir une thérapie psychanalytique à tous les patients.»

Désobéissance. Deux positions inconciliables. Et au milieu, un ventre mou. Marion Leboyer ne bouge pas d’un iota. «La maladie mentale concerne tout le monde.» Quand on s’inquiète du poids de l’industrie pharmaceutique, elle lèvee les yeux : «Mais attendez, heureusement que l’industrie est là. Nous avons plein de nouveaux outils à solliciter, la génétique, l’imagerie médicale». Un des projets de sa fondation a été retenu dans le cadre du grand emprunt : la création d’une cohorte française sur trois des maladies les plus graves (schizophrénie, troubles bipolaires et le syndrome d’Asperger, une forme d’autisme). Pendant dix ans des jeunes adultes atteints de troubles psychotiques vont être suivis à partir de leur premier épisode, ainsi que des patients atteints d’autisme. Budget : 2 millions d’euros.Hervé Bokobza ne décolère pas contre cette loi et prépare une opération massive de désobéissance. «C’est une atteinte à notre métier, c’est nous enfermer dans le rôle de distributeurs de médicaments. Cette loi, nous ne l’appliquerons pas.»

30/05/2011 à 00h00
Psychiatrie: plus de loi, moins de droits

La réforme des soins psychiatriques doit être définitivement adoptée demain. Un texte empreint d’une logique sécuritaire, où les malades n’auront plus leur mot à dire.

Par ERIC FAVEREAU

Une infirmière ferme à clef la porte d'un patient en chambre d'isolement, le 15 décembre 2006 à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu à Lyon.

Une infirmière ferme à clef la porte d'un patient en chambre d'isolement, le 15 décembre 2006

à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu à Lyon. (© AFP Jean-Philippe Ksiazek)

C’est un bouleversement comme il y en a peu dans l’histoire de la folie, mais voilà, tout le monde s’en fout. Dans la nuit de lundi à mardi, en quelques heures, les députés ont adopté en seconde lecture le texte sur la réforme des soins psychiatriques. L’affaire est pliée, l’adoption définitive prévue par les députés demain. Et à partir du 1er août, comme l’avait exigé le Conseil constitutionnel, cette nouvelle loi sera applicable.

«Loi fourre-tout», «texte bâclé», «millefeuille incompréhensible», «loi de circonstance». Tous les qualificatifs y sont passés pour dénoncer ce projet, y compris par des élus de la majorité. Et c’est vrai que ce texte manque d’abord de cohérence. On ne peut le résumer qu’en égrenant les mesures phares.

«Confiance». D’abord, un changement conceptuel décisif. Jusqu’à présent, seule l’hospitalisation pouvait se faire sans le consentement du patient. Le législateur permet désormais les «soins ambulatoires sans consentement». Une personne peut maintenant être contrainte à prendre un traitement. Si elle ne suit pas les consignes, elle peut être menacée d’hospitalisation. «Où est la confiance, nécessaire à tout lien thérapeutique ?» se sont alarmés tous les syndicats de psychiatres.

Deuxième changement, le directeur de l’hôpital pourra signer une hospitalisation sans consentement «pour péril imminent». Jusqu’à présent, seule l’autorité préfectorale (ou municipale) pouvait le faire. Ou sur la demande d’un proche du patient après avis médical (hospitalisation à la demande d’un tiers). Ensuite ? Pendant soixante-douze heures, le patient sera examiné, médicamenté sans le moindre regard extérieur. «Cela permettra de gérer la crise et de recevoir éventuellement son consentement», nous avait expliqué la secrétaire d’Etat à la Santé, Nora Berra. Certes… Mais il est particulier qu’à l’heure où les avocats peuvent intervenir dans les commissariats de police dès la première heure de garde à vue, les malades en souffrance psychique aient droit à un black-out total de… trois jours.

Confusion. Troisième modification, imposée par le Conseil constitutionnel, l’intervention d’un juge d’application des peines qui doit donner son aval à toute hospitalisation sous contrainte dépassant quinze jours. Pour certains, l’intrusion de la justice dans le monde de la santé mentale est une bonne nouvelle, car elle est garante des libertés. Pour d’autres, c’est une confusion extrême, car c’est faire croire que le malade relève de la justice. En tout cas, l’arrivée du juge met la chancellerie dans tous ses états. Ce sont des centaines de milliers de décisions qui devront être rendues. L’embauche decinq juges et de quelques greffiersne devrait pas suffire. Même le garde des Sceaux, Michel Mercier, s’est montré dubitatif : «Le juge n’est ni médecin ni préfet. Ne complexifions pas trop.»

Reste que cette loi n’a guère suscité de remous dans la société. Les murs pour se protéger de la folie ont pris la couleur de l’indifférence.

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